Je sais, pa' (Lettre à mon père)
Je t’ai vu, devant un tableau noir, faire le décompte des jours.
Il s’agissait, disais-tu, de la date à laquelle je devais m’émanciper. Voler enfin de mes propres ailes, quitter le nid douillet. Partir, sans me séparer pour autant. De vous. Ceux qui remplissaient ma vie, en dehors de l’école. Mes boussoles.
Je devais m’en aller, ailleurs. Ne plus être là. Trouver mon chez moi, à la fin du mois qui s’écoulait pourtant paisiblement. Je savais que tu reviendrais sur ta décision. Que je pourrais rester. Que c’était ma maison. J’habitais là.
Chaque jour, devant le tableau noir, tu dessinais un trait à la craie. Ainsi rythmais-tu le temps que j’avais devant moi. Pour trouver une solution, un nouveau toit pour m’accueillir. Un lieu d’hébergement parce que tu voulais me faire grandir.
Je te revois encore, devant le tableau noir, effaçant quelques fois le trait supplémentaire, celui de la veille quand tu étais content. Je ne savais pas ce qui te contentait mais tu m’offrais un sursis, quelques jours de répit, une bouffée d’air. Celui que tu respirais, quand tu le voulais encore.
Des remords ? Les tiens d’abord, de n’avoir pas dit la vérité. Les miens parce que je n’ai rien pressenti. Je devais vous quitter je ne pensais qu’à ça. Tandis que toi tu continuais, avec tes traits sur le tableau et qui pour moi voulaient dire « pars », alors que je souhaitais attendre. Je ne lisais pas dans ton regard ce qu’il fallait entendre : « on va se manquer ».
Et j’ai compris bien plus tard, bien trop tard, que c’est toi qui partais.
Muriel Roland Darcourt
Monologue - Lettre à mon père - Je sais pa'