- Je n’ai rien à me reprocher.
- Tu parles, depuis que tu es toute petite tu ne fais que des conneries !
- Cette fois ce n’est pas moi.
- Ce n’est pas toi qui as jeté le broc d’eau sur ta sœur ?
- Si, mais elle l’avait mérité.
- L’eau peut-être, mais le broc ?
- Il m’a échappé des mains.
- Il y a beaucoup de choses qui t’échappe à toi. C’est comme la gamelle du chien, tu étais obligée de faire manger ta sœur dedans ?
- C’est elle qui voulait.
- Mais au départ, c’est bien toi qui lui as proposé ?
- Oui, elle avait l’air d’avoir envie.
- Tu sais bien qu’elle ferait n’importe quoi pour sa grande sœur, tu lui demanderais de voler de l’argent pour toi qu’elle le ferait !
- Elle l’a déjà fait.
- Et ça t’amuses ?
- Non.
- Même pas ?
- Non.
- Je ne te comprends pas. Tu l’aimes pourtant ta sœur.
- Ben oui.
- Alors pourquoi tu la fais tourner en bourrique comme ça ?
- Je ne l’oblige à rien.
- Mais elle se sent obligée tu comprends ? Tu es son modèle, tout ce que tu dis ou fait elle veut faire pareil, tu es l’ainée, tu dois montrer l’exemple.
- C’est ce que je fais.
- En lui demandant de boire du vinaigre la tête à l’envers ? En lui disant qu’il faut ramper devant chez la mère Gérard quand elle va à l’école ? En lui faisant remplacer les boules de Noël par les culottes de ta mère ? C’est ça un exemple ?
- Écoute papa. Que tu te fâches parce que je lui faisais faire tout ça quand elle avait 4 ans je comprends. Mais aujourd’hui elle en a 30. Tu crois franchement que je lui sers encore d’exemple ? Elle n’a pas envie de les faire d’elle-même toutes ces choses ?
- Ne change pas de conversation, moi je te parle de l’époque où elle avait 4 ans.
- Elle aimait bien.
- C’est ce que tu crois.
- Elle n’a jamais rien fait de ce qu’elle ne voulait pas. Elle a du caractère, elle m’a déjà dit non.
- Ah bon et quand ?
- Les morceaux de sucre dans le réservoir de la voiture, elle a refusé.
- Mais tu es complètement folle !
- Complètement. Et elle le sait, c’est pour ça que quelques fois elle me dit non, et que d’autres fois elle le fait, en fait elle le fait quand elle trouve ça juste, ou drôle.
- Et tu crois qu’à 4 ans elle est capable de se rendre compte de ça ?
- Elle en a 30.
- Oui mais à 4 ans.
- A 4 ans elle avait l’air d’être folle aussi. On s’amusait bien.
- Elle te copiait.
- J’ai fini par le comprendre tu sais, qu’elle cherchait à me rejoindre dans mon monde, à avoir un contact avec ma bulle, à y rentrer parfois. Mais l’histoire de l’arbre ce n’est pas moi !
- Évidemment, tu n’es quand même pas responsable de tout, elle aussi elle en a fait des conneries, c’est une enfant, c’est bien que les enfants fassent des conneries, sinon ce ne serait pas des enfants.
- Je ne l’ai jamais considérée comme un enfant.
- C’est bien le problème. Ce n’est pas normal.
- Papa, je n’étais pas un enfant, je n’ai jamais été un enfant, alors comment j’aurai pu penser qu’elle l’était, elle ?
- Ma grande, tu es toujours une enfant, malgré le temps qui passe, les expériences qui défilent, les rides sur ton front. C’était toi l’enfant. Et il faut que tu aies conscience que tu le resteras à jamais.
- Ah, qu’est ce que je disais ! Elle a toujours été plus adulte que moi, d’ailleurs je me demande jusqu’à quel point, les conneries, ce n’était pas elle qui les initiaient, qui les concevaient…
- Ne lui rejette pas la faute ! Déjà que c’est à cause de toi qu’elle a été adulte si jeune.
- Tu me reproches de lui avoir volé son enfance ?
- Je ne te reproche rien.
- C’est bien ce que je disais, je n’ai rien à me reprocher.
- Mais le broc d’eau quand-même.
- Elle l’avait mérité.
Muriel Roland Darcourt
Saynète - Théâtre - A ma soeur