Les rayonnages du Tourment
Je fais les courses mais je ne prends pas de caddie. De toute façon je ne pourrais pas le remplir. Un sac suffit, pour la semaine, pas pour mon frigo, ni pour ma famille mais pour mon portefeuille c’est essentiel, de ne pas le démunir.
Manger à sa faim c’est encore possible, une soupe avant, du pain, une soupe après, c’est plein de vitamines. Je cible. Les vitrines. Des pâtes premiers prix, de la viande une fois de temps en temps, du poisson jamais. Pas de légumes frais.
Je connais les tarifs par cœur, sans même regarder les étiquettes je sais ce que je peux envisager ou pas. Ce dont je peux avoir envie ou pas.
Le pire moment ce sont les fêtes. Champagne, foie gras, saumon et chocolats. Les cadeaux de Noël, n’en parlons pas. Il n’y a pas de budget pour cela mais je les prends quand-même. Casse-tête. Je ne peux pas jeter mon banquier aux oubliettes. Les jouets sont là, devant mes yeux, envieux, et mes enfants comme tous les enfants y ont le droit.
Je fuis à travers les rangées, raisonnable, pour aller à l’indispensable et ne pas me laisser tenter par le superflu qui afflue, qui déborde des étalages. Que vont-ils faire de tout ça ? Puisque les gens n’achètent pas. Personne ne peut dans mon entourage s’offrir leurs produits de luxe dans leurs emballages, ni même ceux de consommation ordinaires. Que vont-ils faire, de tout ce que les clients ne prennent pas et qui ne se garde pas ? Ont-ils, derrière leur superbes marchés, une grande surface où ils brûlent tout ce qui est dépassé, tout ce qu’on ne peut plus manger parce qu’ils sont restés un temps trop long dans les rayons et qu’ils ne peuvent tout de même pas proposer de la nourriture périmée.
A une époque, à la sortie, il y avait un chariot commun, qu’on remplissait pour envoyer dans les pays pauvres lointains, qui peu à peu s’est transformé en paniers de proximité pour ceux qui crèvent de faim, dans notre propre voisinage. Aujourd'hui il n’y a plus de caddie commun du tout, ils restaient vides de partage de consommateurs sans le sous.
Je file tout droit vers la file qui s’allonge de plus en plus, où chacun a, dans les bras, ça et là, quelques victuailles, sans bonus. Un sourire à la caissière, ne pas oublier. Avant c’était de la condescendance, presque de la pitié, maintenant c’est de la concupiscence, elle au moins est salariée.
La crise de ne pas pouvoir acheter 2007
Muriel Roland Darcourt
Monologue du supermarché - Les rayonnages du tourment