Il y avait, avant, une petite montagne. Enfin petite, tout dépendait de l’âge qu’on avait quand on était devant. Une montagne issue de nulle part, incongrue, au beau milieu d’un bois sombre. Je ne savais même pas qu’elle existait et pourtant je passais devant assez souvent, mais pour la trouver il fallait s’enfoncer parmi les arbres si hauts qu’ils cachaient le ciel, de sorte que cette montagne était plongée dans une nuit perpétuelle et qu’on ne savait pas qu’elle était là.
Un jour, quelqu’un m’annonça qu’il avait découvert cette montagne, qu’elle était à lui et qu’il y allait quand il voulait. Je ne le crus pas sur l’instant, une montagne dans ce bois, cela était impossible. Tout était plat, partout, à l’horizon, à perte de vue, cette montagne avait du surgir un jour pour une raison que tout le monde ignorait, juste pour montrer que dans ce plat parfait, dans cette étendue parfaite, il pouvait pousser, à n’importe quel moment, quelque chose qui dérange. Le regard, les conventions, les certitudes que si le monde était plat il le serait à jamais.
J’ai gravi cette montagne dans un plaisir immense, parce qu’elle n’avait pas le droit d’être là et qu’elle y était quand même. J’ai déboulé de cette montagne dans un éclat de rire qui résonne encore aujourd’hui à ses pieds, parce que ce rire était pur, vrai et que je m’amusais. La terre de cette montagne a absorbé mes joies, y a enfoui mes peines. Les pierres de cette montagne gardent en leur cœur ma raison et mes doutes, mes absences et mes bonheurs passés.
Cette montagne était là et je ne pouvais pas faire semblant de ne pas le savoir mais je le faisais pour garder son secret. Je la regardais de loin cette montagne qui m’attirait et me pétrifiait de peur à la fois. A cause des Elfes qui y habitaient. Des Elfes terrorisants et d’autres charmants qui me plaisaient bien mais à la rencontre desquels je ne pouvais aller car les autres Elfes n’étaient pas d’accord. Alors j’y allais seulement quand ils n’étaient pas là. Et quelque fois devant eux, même sans leur accord. Même si j’avais peur qu’ils me jettent un sort. Parce que cette montagne-là, elle était à moi.
La montagne recèle un tas d’histoires, des tristes et des joyeuses, et les Elfes qui y vivaient ont fait place à d’autres Elfes, c’est pour cela que je ne peux toujours pas y grimper quand je veux. Alors j’y vais en rêve. Des rêves lumineux, des rêves plein de folie, de désir, de souvenirs et de soupirs, et c’est de tout cela que cette montagne respire.
Muriel Roland Darcourt
Fragments - Monologue - La Montagne