Maux d'Esprit
(scénario de court métrage)
Début générique
Fond lumière blanche.
Maison. Salon. Intérieur jour.
Le salon est une vaste pièce rectangulaire. Tous les meubles sont recouverts de draps blancs. Des cartons traînent ça et là. Des piles de livres. Une horloge à balancier rythme le temps. Quelques affaires empilées en attente d’être rangées. Deux portes-fenêtres au fond donnent sur un jardin.
A travers l’une d’elle, filtre une étrange lumière blanche d’une intensité extrême.
VOIX d’un homme (off)
J'ai entrepris un voyage…
Un voyage d’un certain temps en dehors de ma vie…
J’ai fait un choix… Celui de ne plus exister.
J’ai rompu… Avec moi-même… Et ce n’est pas si facile de se quitter…
Un fauteuil dans lequel quelqu’un est assis, sous un drap blanc.
L’HOMME
Je suis de l’autre côté du monde, au-delà de toutes les frontières établies…Dans l’ordre Universel des choses…
…Et c’est bien trop grand pour moi.
Une porte s’ouvre, lentement. Un léger grincement lorsqu’elle tourne sur ses gonds. Une petite fille de six ans entre dans la pièce. Elle a une poupée à la main. Elle la tient par son écharpe.
LA PETITE FILLE traverse la pièce sur la pointe des pieds en vérifiant, par un regard de temps à autre, que personne ne peut la surprendre.
Elle se dirige vers le fauteuil devant la porte-fenêtre étrangement éclairée et retire d’un coup sec le drap qui recouvre le fauteuil.
Un homme est assis là.
LA PETITE FILLE ne semble pas le voir.
Le téléphone sonne. LA PETITE FILLE tourne vivement la tête en direction de l’appareil.
Elle part décrocher le combiné. L’HOMME se lève du fauteuil.
L’HOMME
Je sais que j’ai pris cette décision sans vraiment réfléchir, sans penser aux autres, aux conséquences… Pardon ma fille si tu savais comme je regrette…
LA PETITE FILLE (au téléphone)
Euh… Papa est mort et Maman dort…Tu veux que j’ la réveille ?
L’HOMME s’approche de LA PETITE FILLE. Il lui caresse les cheveux. LA PETITE FILLE au téléphone écoute sagement son interlocuteur en répondant par des onomatopées.
L’HOMME
Et surtout je ne veux pas que tu puisses penser un jour… Que mon amour pour toi n’était pas assez grand, et qu’il n’a pas suffit à réfréner mon geste.
LA PETITE FILLE (parlant au téléphone)
Attends, tu bouges pas…Je reviens tout de suite !
LA PETITE FILLE pose l’écouteur sur la table et sort de la pièce en courant.
Le téléphone pend au bout de son fil avec un mouvement de balancier.
L’HOMME criant à LA PETITE FILLE
J’voulais pas te faire de mal. C’était juste parce que je ne pouvais plus vivre avec moi.
L’HOMME regarde quelques instants fixement le combiné du téléphone.
L’HOMME se tourne vers la porte-fenêtre, les bras croisés dans le dos.
LA PETITE FILLE revient.
LA PETITE FILLE
Alors, qu’est ce que tu me disais ?…
L’HOMME se tourne vivement vers elle. LA PETITE FILLE est à nouveau au téléphone.
L’HOMME
Que j’aurais voulu tout t’expliquer. Pour que tu comprennes pourquoi je suis parti…
LA PETITE FILLE (au téléphone)
Tu voulais aller te promener ?…
L’HOMME
Je voulais surtout fuir. Fuir ma vie. Passer à autre chose, ailleurs…. Je voulais croire que ce serait mieux ailleurs… Mais ailleurs tu n’y es pas.
LA PETITE FILLE
… Je reste à la maison avec maman…
L’HOMME
C’est ça. Et prend soin d’elle…
LA PETITE FILLE
D’accord.
LA PETITE FILLE raccroche le combiné. Elle revient vers le fond de la pièce et s’assoit confortablement dans le fauteuil en mettant sa poupée sur ses genoux.
L’HOMME s’assoit sur l’un des bras du fauteuil.
LA PETITE FILLE, tranquillement, habille sa poupée. Elle lui passe une deuxième écharpe autour du cou. Elle fait un nœud.
Elle prend l’écharpe par les deux extrémités et sert le nœud de toutes ses forces à bout de bras.
LA PETITE FILLE
Comme ça t’auras plus jamais froid !
L’HOMME lui jette un regard horrifié.
LA PETITE FILLE continue de serrer l’écharpe de plus en plus fort…
L’HOMME
Arrête ! Je t’en supplie arrête !
LA PETITE FILLE jette sa poupée par terre. L’HOMME la regarde fixement. Il passe une main sur son propre cou. Il avale sa salive dans une grimace. LA PETITE FILLE se recroqueville dans le fauteuil. Il la regarde enfouir sa tête dans ses genoux.
L’HOMME
Je sais que le temps n’effacera rien…. Cette nuit où tu m’as vu … Lorsque tu m’as appelé et que je n’ai pas répondu…
Je te parlais mais tu n’entendais pas.
LA PETITE FILLE relève la tête vers lui et regarde dans sa direction. Elle sourit comme si elle pouvait le voir.
Il s’approche d’elle et l’embrasse sur le front. Elle se frotte le haut du visage avec le bras.
L’HOMME
Il faut que je m’en aille.
Il la regarde droit dans les yeux. Il cherche son regard à elle.
L’HOMME
Je serai toujours avec toi pour accompagner ta vie. Et je viendrai dans tes rêves pour te parler…
Soulève de temps en temps le voile devant tes yeux et tu pourras me voir.
Il se lève et se dirige vers la porte-fenêtre puis se retourne avec un dernier regard pour elle.
LA PETITE FILLE vient d’allumer la télévision, elle est absorbée par l’image sur l’écran.
L’HOMME
Je t’en prie, ne m’oublie pas… Je ne veux pas mourir une deuxième fois.
Il passe à travers la vitre de la porte-fenêtre et s’en va en direction de la lumière.
Fondu au blanc
FIN
Février 1995
Muriel Roland Darcourt
Scénario Maux d'Esprit - Détache - moi !