Le Fort Intérieur
Il y a bien longtemps déjà, quelque chose s’est cassé.
Cette chose était en moi, un moment ébréchée,
Et puis au fil des jours, tout au long des années,
La fêlure,
Encore invisible, s’est transformée en faille.
D’abord, une entaille
S’est ouverte et a fait chavirer
Une blessure
Secrète que je n’avais pas soignée,
Elle s’est muée lentement en cassure
Incurable
Menaçant d’assassiner certaines facultés
Les fracturant d’un procédé irrévocable.
La cervelle déchirée, l’âme étranglée, l’esprit à vif
La fragilité mise à nue de l’état émotif
Semble avoir semé le trouble autour de cette plaie vivante
Que je suis devenue, tantôt froide, tantôt brûlante.
Et cette curiosité suscitée par cette attristante écorchure,
Étonne. Intrigue. Inquiète. Amuse aussi parfois.
Et cet amusement-là. Cet effroi. Ce questionnement.
M’oblige à la brandir, cette signifiante meurtrissure,
Pour me cacher, me montrer, m’expliquer,
Interpeller.
Je ne suis plus que ça aux yeux des gens normaux :
Un crime perpétré, une gifle à la règle, un défi à la loi,
Un tort causé au monde par le seul fait de mes maux,
D’exister par les clameurs et les pleurs, d’être moi.
A force de tour de force pour me sortir de cet imbroglio
De solitude souffrante plus que de société confondante,
J’ai dans le corps une sorte de Fort Alamo
Empêchant l’ennemi d’atteindre le rire qui me hante.
Car je ris, et souvent, jusque dans la tourmente.
Ces éclats de bonheur d’une pureté séduisante,
Intimement cachés au plus profond de mon cœur
Ne se voient qu’aux travers des silences et des heurts.
Je suis une forteresse imprenable pour qui emploi les cris,
L’injonction, l’oppression, la violente tyrannie
De la normalité.
Mais face à la tendresse répétée, l’intérêt distillé par l’écrit,
J’offre le privilège à certains de posséder les clés
Car nulle porte descellée ne peut rester fermée.
Chaque effraction me renforce dans ma lutte contre l’autre qui assaille.
Chaque invasion se soldant par un revers de médaille.
Je m’ouvre à celui qui écoute et non pas à celui qui entend.
Je m’ouvre à celui qui vraiment me comprend.
Ma guerre n’est pas vaine : je combats pour ma survie,
Pour ceux qui dans mon existence ont conscience de qui je suis.
Et qui prend part à la bataille, invités au sein de mon Fort
N’en seront, pour toute la vie, à chaque conflit, qu’aimés plus fort.
Mars 2011
Muriel Roland Darcourt
Lettre - Monologue à la folie - Le Fort Intérieur