La normalité
Mes bien chers lecteurs, je vais vous quitter.
Plus de textes, plus de pensées.
J’arrête de chercher des mots, de fabriquer et de dire.
Je n’ai plus le droit d’écrire.
Enfin si.
Si, je peux encore écrire, mais selon vos normes à vous.
En silence, dans le calme, sans extase ni envie,
Sans cris et sans soupirs, sans les paradis du fou.
Je peux écrire, des mots, comme ceux-ci qui me viennent
Parce qu’ils passent à ma portée,
Que je n’ai pas à les chercher.
Et ces poignées de phrases je les fais devenir miennes,
Sans les bousculer,
Dans l’apaisement et la sérénité,
Dans le miroir cassé de vos pilules à grignoter les rêves,
A les ronger insidieusement pour qu’ils crèvent,
Ne deviennent plus qu’un puits sans fond de blême stérilité,
De tournures déjà dites,
D’envolées déjà prêtes,
De lexies réduites
A l’anorexie de préceptes.
J’écris, des mots, ceux dont je me souviens encore,
Et rien que de les choisir eux c’est comme une petite mort.
Alors que moi, j’ai le désir profond de chercher, de hurler,
De taper sur mon bureau et les murs à coups de poing,
D’exploser, de pétiller, de jubiler,
D’invectiver la télé et ses conneries sans fin,
De vous envoyer vous faire mettre avec votre liste de courses,
Vos papiers à remplir quand je dois me vider
De vos « calme-toi » qui tarissent la source,
De vos « prends tes médicaments » quand je voudrais gueuler.
Parce que j’en ai besoin, pour vivre, d’aller puiser sans cesse
Au fond de moi dans mes trippes, et mon cœur, mon âme et mon vagin,
Cette furieuse espérance plus forte qu’une promesse
Qu’on n’aurait pas tenue alors qu’on le pouvait très bien.
Je dois me taire et je me tais,
Je m’enferme, seule chez moi, sans parler à personne,
Pour discuter enfin avec mes chers cahiers
Tandis qu’aux syllabes et aux sons enfin je m’abandonne.
Mais qui n’a pas compris qu’il fallait qu’on me laisse ?
Qui fait encore sonner ce putain de téléphone ?
On a peur que je me blesse
De mon insociabilité de pauvre conne.
Le ménage et les comptes, je vais le faire
Vous le savez très bien.
M’occuper de mon enfant, lui faire du bien,
Lui sait et comprend que ça aussi je vais le faire.
Comme toujours.
Parce qu’il est mon plus grand amour.
Terrestre. Même si je vogue dans les nuages
Avec frénésie et violence
Et que je tourne les pages
Pour les noircir de mes révoltes et de mes repentances.
Allez tous mourir avec vos potions sénilisantes
Vous me tuez avec vos injonctions,
Avec votre normalité à la con,
Avec le devoir être et la nécrologie bien pensante.
Je les prendrais, comme toujours, quand vous serez là
Je ne les prendrais pas lorsque je serais seule,
Vivement que je sois seule,
Parce que depuis trente neuf ans je vis comme ça,
Les mots pour compagnie, pour musique, pour résonnance
C’est comme ça que je la vois, moi, mon existence.
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Muriel Roland Darcourt
Lettre à Alain - La Normalité