J’ai refermé à clef la maison de mon enfance, et toute ma vie est restée à l’intérieur. Les chagrins et les peurs, les sourires et les bonheurs. Les joies et les souffrances. Et les miettes de moi qui ont subsisté jusque là.


J’ai entendu des pas de danse qui raisonnaient sur le plancher, j’ai vu les coulures de peinture sur les murs, j’ai lu quelques phrases dans des cahiers qui trainaient là.


Et toi qui me dis « Tu te drogues ? Ça sent l’eucalyptus ! » « Range ta chambre et viens manger » « Je n’ai pas encore reçu le bulletin de ce trimestre ». Tu le trouveras derrière la grande armoire, c’est là que je les cachais, ils doivent y être encore.


J’ai rangé mes souvenirs tout au fond des cartons. Empilé les disques à côté de la platine. Retrouvé les cassettes des films et les photos de la Tour que je n’avais jamais montré.


Et toi qui me dis « Qu’est ce que tu fabriques encore à rêvasser, à faire tes trucs en cachette » « Tu vas être en retard et c’est encore moi qui vais t’accompagner à l’école » « Sors de ton antre ou tu vas scléroser ». Je suis toujours enfermée papa, à l’intérieur de moi-même, dans des rêveries que nul ne peut imaginer. Je construis ma vie dans ma tête, un jour tu verras, tu seras fier de moi.


J’ai ressorti l’échiquier pour une dernière partie, j’ai rechaussé mes pointes pour faire une arabesque, j’ai ri sur mes dessins enfouis dans leur pochette, j’ai feuilleté les cahiers que tu voulais faire publier.


Et toi qui me dis « C’est beau d’écrire si ça te fais du bien » « Et si tu lisais les livres de ton grand-père ? » « Ne te couches pas trop tard ». Je passe mes nuits à lire et à écrire, je ne veux plus faire que ça. J’espère que tu le comprendras.


J’ai vidé le saladier des cerises, mangé la dernière glace aux fraises, jeté un œil du haut du palier à ce salon où ont eu lieu bon nombre de soirées.


Et toi qui me dis « C’est bizarre, chaque fois que l’on revient la maison est plus propre » « J’ai trouvé de l’eau dans mes bouteilles d’alcool » « Ça sent la fumée de cigarette». Quand tu n’es pas là je fais la fête, j’invite quelques amis.


J’ai fermé les volets en bois, je suis grimpée une dernière fois sur le toit, c’est de là-haut la nuit que je regardais les étoiles, que je faisais des plans sur la comète, que j’étais bien dans mon petit univers à moi. De là que je pensais à toi.


« N’oublie pas de fermer la lumière en partant, de couper le chauffage ». « Tu sais la vie est un éternel recommencement, tu tournes une page. Tu ne reviendras plus jamais ici. Tu laisses derrière toi tout ce qui t’a construit. Tu repars avec des tonnes de bagages. Fais le tri, ne prend pas tout avec toi, ce serait beaucoup trop lourd. Garde l’amour que tu as reçu. Garde les rêves, les souvenirs c’est important. Emporte avec toi cette enfant qui a grandi ici et surtout n’oublie pas tout ce qui a compté pour toi. Qui fait que tu es toi. »

 

2012

Muriel Roland Darcourt

Lettre - Monologue - Les Cartons

 

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