Il déboule un matin, ou un soir. Sans crier gare. Il débarque avec ses valises, sur un quai où personne ne l’attend. Il demande son chemin, bouscule des inconnus sans le faire exprès, sourit ou détourne la tête. Il s’arrête au beau milieu du passage, défait ses bagages.
A l’intérieur de ses valises il y a des tas de choses inutiles. Il les distribue. Et les choses utiles il les distribue aussi mais avec parcimonie. Il ne sait pas vraiment ce qu’il donne, il prend ce qu’il reçoit, pour remplir ses vieilles malles de nouveaux choix. Il tend la main en fermant les yeux, en jouant l’inconscience c’est mieux. Il n’aura pas d’explications à donner, il pourra se faire pardonner.
Il reste-là sur le quai, au milieu des affaires mélangées. Il ne sait pas où il va aller, si il reste. On bute sur lui, on le cogne, parfois on ne le voit même pas, parfois il dérange puisqu’il est dans le passage. Qu’il perturbe le voyage et qu’on voudrait bien qu’il dégage.
Lui reste-là sur le quai, à regarder les gens qui passent, ceux qui s’arrêtent à sa hauteur, lui demande l’heure, ceux qui lui propose leur compagnie. Il y en a quelques uns qui se sont assis, là, à le regarder les regarder dans le fond des pensées.
Il dérange, il arrange. Il sert de tube en quelque sorte. On entre en lui et on en sort, changé. Et lui aussi il change.
Sans prévenir il range ses affaires, ferme ses valises et s’enfuit en courant en en laissant une ou deux traîner sur le quai, que quelqu’un pourra ramasser. Il saute dans le premier train vers nulle part, s’arrête à la prochaine gare, se promène sur le quai.
Il agace, il énerve par ce comportement. On finit par le connaître à la longue ce voyageur errant. Au départ il intrigue, à l’arrivée il y a un enseignement, qu’il a donné malgré lui. On le fuit, on veut l’entendre. Entendre dire pourquoi tout cela. Cette promenade improvisée, cette incartade imposée. Pourquoi il est là au milieu du chemin. Qu’est ce qu’il attend, pourquoi il vient.
Alors on le contourne, on fait comme s’il n’était pas là. Mais il est là. Dans le passage. A distribuer ses bagages à qui les veut bien.
Sans lui le quai ne serait pas vide. Sans lui le voyage ne serait pas inintéressant. Sans lui les bagages ne seraient pas plein de vide. Sans lui le train partirait comme avant. Sans lui.
Il ne sert à rien, mais il est là et il faut faire avec. Et puis des fois il distribue des objets encombrants certes, mais cet objet-là on voulait bien l’avoir. On a dit non merci et on l’a pris.
Il repart en train, toujours le même. On sait précisément à quelle heure il revient. Il est facile d’éviter de le croiser sur le quai, de passage. Il est simple de s’éloigner de ses bagages. Si l’on revient c’est qu’on veut lui faire payer, de s’être trouver là lors du premier voyage, qu’il nous a tout gâché. Ou alors c’est qu’on aime bien, le trouver là sur ce quai. A bousculer sans faire exprès.
Muriel Roland Darcourt
Monologue du grain de sable