Une page se tourne. Recommencer. A l’abreuver de mots. De mots qui jaillissent puis soudain se tarissent. De mots qui n’ont plus que le sens qu’on leur donne quand on ne sait plus dans quel sens aller.


S’angoisser devant cette page, ne plus être sûre de vouloir inventer, ne plus savoir comment raconter. Ne plus vouloir dire la même chose. Rêver devant l’imagination désespérément morose et utiliser ces mêmes lettres qui forment les mêmes vocables improbables, qui sonnent faux, que l’on raye pour les réécrire sans fin. Ceux qui reviennent alors qu’on en appelle d’autres, qu’on en voudrait d’autres, qu’on les connaît pourtant. Mais qui restent en suspend. Dans un autre espace temps.


Peut-être qu’on nous les a volés. Çà et là quelques traces de ceux qui par poignées se sont emparés de tournures, de figures, d’un style qu’on avait cru inventer mais qui appartient aussi à d’autres. Dont on essaye de se libérer pour ne pas ressembler, et qui finissent par nous emprisonner. A force de vouloir fuir un procédé, sous prétexte d’enfanter une idée que personne n’aurait eu avant, un précepte sentencieux qu’on aurait usurpé aux cieux pour se sentir divinement important alors qu’on ne fait que noircir des pages de pensées fatiguées d’être employées depuis des lustres, et qui illustrent l’ignominie de n’être qu’un simple écrivant de rustres panacées.


Continuer cependant. Sans trop savoir pourquoi sans bien comprendre comment. Les phrases s’enchaînent d’elles-mêmes, elles qui n’ont pas besoin de nous pour exister. Douter. Chercher sans fin une locution, expression de notre intention. Ne pas trouver. S’emmurer dans d’impossibles saillies, de risibles euphories. Répondre à la question de qu’est ce qu’on fait. Rien on écrit. Nous, petits faiseurs de lexies se suffisant de lexis. Enfin, on essaye.


On étaye un raisonnement alors que seul le silence raisonne parce qu’aucun son ne signifie que l’on griffe la feuille de quelques termes nouveaux qui parviendraient à nous sauver. Sauter la page pour aller vers celle d’après, tenter de se contenter de ce qui vient et laisser derrière soi, en vain, l’amer regret de ne pas avoir su extérioriser, exprimer, rédiger le fin fond de notre pensée. De ne pas être un véritable écrivain.

 

 

Muriel Roland Darcourt

Monologue de la page blanche

arbre

Tag(s) : #Monologues, #Fragments

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