Le Roman

 

  

Voici mon roman.

Il est un peu court…Certainement…

Il devait culminer à trois cent vingt pages, pour faire sérieux. Il en a cinquante trois, c’est mieux que vain.

De quoi il parle ? Ben c’est toujours pareil, la mort, la vie et tout ce qui va avec. Que dire de plus ? Je ne m’aventure jamais dans des laïus. En fait il s’agit d’une tranche de vie que j’ai dû abréger.

Non ce n’est pas un manque de volonté.

Je l’ai relu une bonne centaine de fois ce texte, et à chaque lecture je supprime un mot, le contexte ou un paragraphe, voir un chapitre  entier. Pire une idée.

De tout un livre il n’en reste que la moitié. Même pas. Même pas ça. Quelques pages. Cinquante trois. Comme moi. J’ai cinquante trois ans…

C’est curieux non cette concordance ?

Autant d’années d’existence pour ne retenir que cela finalement.

Parce qu’il s’agit de ma vie.

J’écris. Je relis, et tout disparait!

Censure-toi. Voilà ce que je me répète tout le temps pour ne pas blesser les gens avec lesquels toute ressemblance ne devrait être qu’une pure coïncidence.

Je ne veux pas écrire avec le sang. Sûr que je dois me taire à temps. Et sans surtout déplaire à qui me lira.

Je retire les mots pour ne pas qu’ils racontent.

Et mieux vaut en dire moins que trop.

Bon, d’accord là c’est trop peu. Je le reconnais. C’est que j’ai gardé seulement ce qui me plaisait vraiment.

Remarquez, il ne devrait pas être très coûteux. Pour la publication, au vu du nombre de mots absents, et tenir facilement sur un carnet transportable dans tous les lieux communs.

Ce roman est un livre de train…En quelque sorte.

Errant sur le quai d’une gare, ramassé par un quidam puisque perdu par un autre. Il y a des livres qu’on égare. Le mien est opportun on l’emmène sans égards. 

Sinon le genre de littérature ?

Vous parlez de la classification, de l’étagère sur laquelle il sera entreposé… ?

Si vous avez quatorze ans et demi il vous paraîtra chiant fatalement, je vous laisse trouver pourquoi.

Si vous en avez trente vous direz qu’il ne vous cultive pas, à quarante c’est pire, à cent  vous seriez déjà mort… Et à cinquante trois…

Déçu ?

Comme quoi. Il y a plusieurs lectures possibles, et il se peut même que vous le pensiez profondément con, je ne vous cache pas qu’à moi aussi ça m’est arrivé.

Mais il est écrit en français, je dis ça pour la traduction future si ça nécessite de passer les frontières.

Il est fini oui, bien fini.

Il y a probablement encore quelques épines glissées parmi les tournures lisses qui s’immiscent, futiles, que je voudrais retirer. Mais que resterait-il ?

Je vous assure. J’ai tout dit : il est comme ça. Il existe indépendamment de moi et il a décidé de s’arrêter là.

Personne n’édite une moitié de roman ?

Même pas une bonne moitié ?

Et je vous livre l’autre partie quand je l’ai terminée.

Bien sûr qu’il y a une autre partie.

Celle où j’ai mis tout ce que j’ai retiré dans l’autre vous savez…

Non il ne s’agit pas d’un ramassis d’idioties, vous avez tort de la refuser car cette partie-là comprend le plus important si vous voulez le savoir.

L’histoire.

Vous ne prenez aucune des deux moitiés ? Même pas celle déjà écrite ?

Ce roman de train restera donc en gare.

Je quitte l’espoir de le voir vagabonder. Il n’est pas libre d’exister tout à fait.

Il ne fera peut-être qu’un voyage, sur un quai de hasard. Et tel qu’il est. Avec ses pages sans autre forme que ces feuillets.

Et il verra du monde, je vous le promets. Il sera accepté. Acclamé… Admirable. Et à ce moment-là vous le croirez presque formidable.

 

 

Muriel Roland Darcourt

Monologue de l'écrivain - Voici mon roman

 

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Tag(s) : #Monologues

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