Maris et Femmes
D’une manière générale je ne vois pas les femmes des autres, souvent c’est elles qui commencent. J’avoue que je finis toujours par les regarder, ensemble, savoir si ils vont bien ensemble, si leur amour se comprend, si leur bonheur se lit sur leurs visages, si ils sont heureux d’être ensemble. Et puis elles me provoquent, me sourient d’une étrange manière. Un regard en dessous, un frôlement de main, une parole déplacée pour l’autre mais juste pour moi. Ils savent que je ne vais pas en rester là. Ils le savent tous alors pourquoi viennent-ils me narguer avec leur femme si ils en veulent encore, si ils veulent la garder pour eux, si ils sont bien ensemble. Si je ne la prends pas leur femme ils se vexent, si je l’emmène avec moi ils m’en veulent, si je leur dis non elles me suivent, si je leur dis oui elles le disent à ma femme. Et leurs maris ne disent rien, juste ils vont chercher ma femme, un regard, un frôlement de main, une parole, quelque fois ils se servent et le font savoir à leur femme, sans le dire à la mienne. Quelque fois elles me courent après, dans les rues, elles courent à perdre haleine avec leurs talons qui claquent sur le trottoir sous sa fenêtre, pour qu’elle entende. Quelque fois elles lui envoient des photos de n’importe quelle époque et elles disent que c’était hier, lorsqu’elle est allée boire un verre, chez un ami. L’ami n’oublie jamais de m’appeler pour me dire ce qu’ils ont fait puisque sa femme était sortie, qu’elle était avec moi. Que je leur ai prise. Et que c’est pour ça, uniquement pour ça qu’ils ont fait venir ma femme et qu’ils la raccompagnent sous ma fenêtre, pour que je les voie. Les femmes des autres sont encombrantes, d’abord parce que je n’en veux pas, sauf s’ils insistent, je ne voudrais pas non plus perdre des amis. Et puis à force de détourner ma femme, je n’en ai plus de femme alors je prends les leurs. Puisqu’elles sont là, sous ma fenêtre. Avant ou après il faut toujours qu’elles passent sous ma fenêtre et sous celle de ma femme pour savoir où sont leurs maris. Quelque fois elles me supplient, se jettent sur moi pour faire comprendre à leur mari que quelqu’un veut bien d’elles, puisque pas lui. Lui regarde ma femme. Ils veulent ma femme parce que c’est la mienne, parce que quand je ne passe plus voir ma femme ils ne viennent pas la voir non plus, personne ne passe sous sa fenêtre alors elle reste là, à attendre que je passe mais si je passe quelqu’un me suit ou me précède. C’est comme cela qu’elle sait que je suis encore en vie. ça la rassure de voir du monde, en fait, sous sa fenêtre. Mais ce qui les ennuie, ces femmes, c’est quand ma femme ne prend pas leur mari, elles n’ont plus de raisons alors de prendre le sien. Donc elles racontent à leur mari tout le mal qu’elles pensent de ma femme ce qui les fait venir sous sa fenêtre, et je les vois. C’est souvent de cette manière là que j’apprends qui est leur femme, quand leurs maris sont sous la fenêtre de la mienne, qu’il la regarde, qu’ils rêvent à elle et qu’ils la veulent soudain. Ils feraient tout pour ça et ils le font alors leurs femmes le savent et elles en veulent à ma femme et moi aussi je lui en veux, et elle m’en veut aussi de passer sous sa fenêtre suivie par d’autres femmes. Si ils étaient heureux ensemble, je passerais sous la fenêtre de ma femme et elle passerait sous la mienne et à force d’être deux âmes errant toutes seules sans personne ni avant ni après, peut-être aurions nous l’idée de nous mettre ensemble tous les deux. Et de rester ensemble. Et de ne plus regarder ni les femmes des autres ni les maris des autres, et de faire l’amour ensemble parce que faire l’amour c’est bien avec quelqu’un qu’on aime. Il faudrait toujours faire l’amour et puis se marier avec celui qu’on aime, avec celle qui nous aime, et puis de faire comprendre aux autres de nous laisser ensemble.
Samedi 22 juillet 2006
Muriel Roland Darcourt
Monologue aux amoureux - Maris et Femmes