Ils ont refermé le rideau. Je n’ai pas pu le voir une dernière fois.

Le claquement de mes talons sur le ciment, lorsque je suis partie en courant. Pour prendre l’air. Ici tout est gris, même le ciel qui filtre au travers des barreaux, pas une seule lueur de vie, d’espoir, mon cœur est noir de rage et la pluie ne lavera pas mon déshonneur.

3 jours d’horreurs. 3 jours que j’entends les uns et les autres démanteler mon passé et le sien. Pour savoir si je mérite la même sentence. Rien de m’aura été épargné. Ils veulent me faire craquer. Je ne dirai rien.

J’ai rencontré ce type par hasard. J’errais dans un parc à la recherche d’une cigarette. Les gens marchaient en baissant la tête, je n’ai donc vu que lui dans le soleil couchant. Lui qui déambulait en souriant. C’était de bonne augure. Je suis venue vers lui. Il me regardait m’approcher. Il a mis une main à sa poche, m’a tendu son paquet. Il ne parlait pas la même langue mais il avait compris. Nous avons ri, de nous entendre, même sans les mots.

Nous nous sommes assis au bord de l’eau et nous avons fumé en silence. Instinctivement mon corps a aimé sa présence, lui me trouvait jolie. C’est ainsi qu’ont commencé nos histoires. Je dis nos, parce que nous n’avons pas vécu la même. Deux histoires qui se croiseront cependant, chaque soir, durant plusieurs mois, sans que je ne m’aperçoive de rien, j’avais la tête ailleurs. Il disait laisser parler son cœur, tout n’était que manipulation et mauvaises intentions. J’avoue que je n’ai rien vu venir.

J’étais joyeuse de le voir, chaque fois, même s’il passait son temps au téléphone. Même en faisant l’amour il était au téléphone, rien ne le faisait raccrocher.

Il disait qu’il m’aimait. Il le disait et le répétait. Jusqu’à me faire croire que c’était vrai. Et puis il m’embrassait. Abandonnée à ses lèvres je lui pardonnais tout.

Il vivait entouré de ses amis et de ses putes qui bien souvent étaient les mêmes. Il trafiquait tout ce que l’on pouvait trafiquer, tout ce qui était hors-la-loi l’attirait comme un aimant, le reste du temps il était mon amant.

Quand je repense à toutes ces soirées qui se succédaient, toujours les mêmes. Quelques mots échangés dans des langues étrangères, des gestes qui me montraient mon importance pour lui, alors j’attendais bien sagement qu’il ait fini ses conversations, pour m’octroyer quelques minutes volées à la passion, et qui se terminait bien vite.

Mon avocat m’interpelle, il me faut retourner dans la salle d’audience, et recommencer à tout déballer.

Je ne sais pas pourquoi, au fond de moi je sentais qu’il m’aimait. C’est ce qui me faisait tenir. Jusque-là tout du moins.

Alors j’ai vu défiler sur des hauts talons et la bouche refaite, toutes ses tromperies durant ces quelques mois. Elles ne me ressemblaient pas. En rien. Pourquoi m’avait-il choisi moi pour être son officielle ?

Car voyez-vous je suis un bon terreau. J’ai tout ce qu’il lui faut pour le rendre heureux cet homme. Je suis souriante et complaisante, je ne pose pas de questions, surtout j’ai des papiers en règle. Un ventre fertile qui donnera un bon fruit au goût de la liberté de circulation. Un bon mariage en somme.

C’est à la mairie que nous nous sommes fait arrêter. Au moment où l’on échangeait nos vœux, « Voulez-vous prendre pour époux… ? » Je n’en étais pas très sûre. Lui a crié « Oui » et je n’ai pas eu le temps de répondre, nous n’avons rien signé, tout est resté en suspens.

 

Ils nous ont emmené. Lui dans une pièce à part avec un émotiomètre au bout du doigt. Quel que soit le sujet, il n’y avait rien qui menaçait le long ruban plat qui se déroulait. Pas la moindre trace du moindre affect. Lorsqu’ils ont prononcé mon nom, un soubresaut s’est produit, ils en ont déduit qu’il avait des sentiments à mon encontre, que c’était là qu’il fallait chercher plus en profondeur, auprès de celle qui lui remuait le cœur… En fait je crois qu’il avait peur. Pas de moi non, pas d’eux non plus, il en avait vu bien d’autres, mais il me savait si fragile qu’il pensait que j’allais tout balancer.

Il ne m’avait rien dit. J’avais tout deviné.

Ses allers retours incessants, ses mensonges perpétuels, je les comprenais dans les gestes et les sourires, et dans cette langue que nous avions inventée juste pour nous. Ses clins d’œil à travers la vitre, censés me réconforter.

Ils ont fouillé ma maison de fond en comble. Là où chaque nuit je l’accueillais dans la quiétude de « notre » amour. Ces moments de tendresse, impossible à oublier et qui prenaient le pas sur tout autre chose.

Ils ont retrouvé des traces d’armes. Ils ont retrouvé des traces de stupéfiants et des documents falsifiés. Ils ont retrouvé des traces de corps, possiblement découpés.

Il m’avait menti sur son âge, sur sa fidélité mais jamais il n’avait dit quoique ce soit au sujet de ses agissements. Mais moi, chaque jour qui passait je voyais le bonhomme et je ressentais très fort, chaque fois un peu plus, ce qu’il pouvait me cacher.

C’est pour cela que j’ai tant pleuré lorsque je me suis retrouvée enceinte. Le piège se refermait.

Et dans toutes ses merdes qui se répandaient sur tous les murs du tribunal, dégoulinant sur les gens atterrés par le discours du procureur, les supputations qui se succédaient. J’ai compris que ces 6 mois étaient un vaste mensonge. Qu’il s’était servi de moi.

Tout le monde attendait ce que j’avais à dire. Je m’étais tue jusque-là.

La police avait cherché à m’intimider en parlant de complicité. Il ne m’avait rien dit, j’étais censée ne rien savoir.

Ils n’ont pas de preuves. Ils n’ont que moi. C’est ma parole contre la sienne.

 

Je me lève face au juge. Je pose une main sur mon ventre arrondi. Personne ne sait ce que ma robe cache, même pas lui, surtout pas lui.

Je tremble tout en gardant la tête froide, un mot de moi et c’est la perpétuité. Il le sait.

Je me tiens debout et je n’évite pas son regard.

« Tu sais bonhomme, au fond de mon ventre il y a une graine de toi, un petit être qui devra subir le poids de tes errances. Un ange qui n’a rien demandé, qui sait juste que si sa mère lâche quelques bribes, son géniteur ne pourra jamais le toucher. Mais il sera mis hors d’état de nuire, et il ne fera plus de mal à qui que ce soit. »

Au nom de quoi vais-je trouver la force de me taire ? Si je ne parle pas il ne restera que des hypothèses… Quelques euros pour quelques faux papiers, et il sera dehors.

Ses yeux m’implorent. Ils me crient « ne craque pas. On verra tout ça ensemble tous les deux, après, on s’expliquera. »

Certes mais maintenant nous sommes 3.

Dans le secret de mon ventre, le bébé tourne et retourne, je suis comme suspendue aux lèvres de l’assistance. Toute sa famille est là, ses amis, ses complices, la Mafia. Si je parle, je n’en réchapperais pas, si je ne dis rien je serai condamnée pour complicité. Quelques mois, le temps de ma grossesse. Alors que je n’ai rien fait.

J’ai juste cru que l’amour m’avait trouvé, j’ai juste pensé que lui et moi nous vivions une histoire vraie.

Innocente, trop innocente. Si j’étais seule je parlerais, je balancerais tout, j’en rajouterais, je dénoncerais, et je l’enverrais pour toujours en prison quitte à mourir pour ça, parce que c’est tout ce qu’il mérite.

Mon bébé me donne un coup de pied, dois-je fermer les yeux sur toutes les abjections et ainsi lui faire vivre un véritable calvaire. Mettrais-je au monde un enfant condamné à être damné par son père, qui ne l’aimera pas plus qu’il ne m’a aimé moi ?

Je ne simulerai pas un malaise, pour gagner du temps. Je vois des dizaines d’yeux braqués sur moi. Leur vie ne tenant qu’au fil de la mienne. Eux aussi peuvent tomber à tout moment.

Faire venir les pompiers pour m’emmener sur un brancard ? Plutôt crever debout, j’ai trop baissé la tête. Le procès ne sera pas ajourné. J’y mettrais toute ma foi.

Je vois dans ses yeux qu’il a peur de moi. Parce que si je n’étais pas là, il serait déjà libre.

« Ok bonhomme, maintenant nous sommes face à face. Tes téléphones ne sonneront pas pour combler le grand vide de ton existence, de tes ambitions désastreuses, de tes mensonges dans lesquels tu vis empêtré, dans ce faux-amour que tu as calculé. Regarde-moi. Regarde-moi bordel ! Ose dire que je ne suis rien pour toi. Je suis ta couverture, celle qui te tient chaud l’hiver et qui peut te sauver d’un simple claquement de doigt. »

Je vois ses yeux s’embuer, il comprend désormais le poids que je prends dans son existence. Regrette-il ce qu’il a fait, ce qu’il m’a fait ?

Je tourne vivement la tête vers lui, le menton volontaire. Je prends une grande inspiration. Il a un mouvement de recul, il sait que je sais à présent. Ais-je bien interprété sa frayeur ? Il me sourit tendrement. Laisse-t-il parler son cœur ? Serait-ce de l’amour que j’entrevois ?

Il risque très gros, moi juste quelques mois. Un sacrifice supplémentaire ? Si je dis ne serait-ce qu’un mot, je ne le reverrais pas. Son enfant non plus car on me l’enlèvera. C’est pourquoi, je ne parlerai pas.

 

31 décembre 2020

Muriel Roland Darcourt

Nouvelles - Le Piège

Muriel Roland Darcourt - Nouvelle - Le Piège

Muriel Roland Darcourt - Nouvelle - Le Piège

Tag(s) : #Nouvelles

Partager cet article

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :