— Faudrait savoir, me dit-il, t’en veux ou t’en veux pas ?

Il me tend le revolver. Je ne bouge pas.

Je le regarde fixement. A-t-il conscience de ce qu’il me vend ?

— Les premières balles c’est offert. Enfin si tu t’entraînes il faudra en acheter souvent.

Il charge.

— Voilà, tu peux tirer 6 coups, poursuit-il, en dirigeant la crosse vers moi.

— Je ne le prends pas.

— C’est comme tu veux. souffle-t-il en remettant l’arme à sa ceinture. De toute façon toi, je ne te sens pas depuis le début. J’en ai rencontré des tireurs, ils ont tous en commun cette petite flamme que tu n’as pas.

Il présente le barillet au feu du soleil.

— Il est beau n’est-ce-pas ?

Il balaye des yeux mon visage impassible.

— Toi tu vas faire une connerie.

Je ne réponds pas.

— Tu sais, je n’ai pas pour habitude de demander à mes clients ce qu’ils vont faire de ce que je leur fournis. J’m’en fous. C’est pas mon problème. Je ne fais pas d’exception avec toi.

Il s’empare du flingue, tire un coup, en l’air.

La déflagration se propage dans le hangar, le bruit remplit toute ma tête.

Je n’ai pas sursauté. J’étais prête. À ce que le coup me soit destiné. Je le voulais. Ce serait… tellement plus simple.

— Je ne vais pas vous mentir, je n’ai jamais eu de pistolet entre les mains.

Il sourit.

— Alors pourquoi ? Soudain ?

Il n’y a pas une raison, il y en a mille. Pas besoin de m’expliquer. Des cernes bleutées mangent une partie de mon visage et je n’ai pas encore l’âge de les porter. J’ai l’air paumée. Je ne le suis pas. Je sais ce que j’ai à faire. Acheter un revolver, partir avec.

Je touche machinalement la poche de mon manteau où se trouvent les 2 000€ que j’ai dû emprunter à quelqu’un qui ne les reverra sûrement pas. Et pourquoi pas un billet d’avion pour tenter l’aventure à l’autre bout de la planète ? C’est ce que j’ai donné comme argument. Je pars refaire ma vie.

Cette expression me fait sourire. Refaire sa vie, c’est-à-dire ? Recommencer au tout début sans le pouvoir ? Plutôt en finir pour renaître si une autre chance nous est donnée. Le mot chance hein, je ne l’ai pas prononcé. Même au fond de mon âme ce mot est galvaudé. Il n’y a plus que de l’amertume.

— Je ne sais pas… finis-je par répondre.

— Envie de te remuer les entrailles ?

— Plutôt de mettre fin à la bataille.

— Je comprends, dit-il en baissant le regard devant le mien qui l’affronte.

— Je n’ai pas peur.

— Je vois ça. me répond-t-il. Mais je ne veux pas en savoir plus, être mêlé à ça. Quand on retrouvera ton corps je nierai tout sans un remord. C’est mon métier qui veut cela, ne le prend pas pour toi, mais je vais te dire franchement, c’est bien dommage, une jolie fille comme toi.

Je tends la main vers le flingue.

— Je peux tirer un coup ?

Il sourit.

— Ne te méprends pas.

— Et pourquoi pas ? dit-il en faisant un pas vers moi. Puisque tout est fini pour toi… Nous sommes seuls…

— Ne crois pas ça.

Il tourne vivement la tête en direction de la porte, entrebâillée.

— Tu es venue accompagnée ?

— Va savoir…

— Ne me provoque pas tu veux. J’ai les moyens de te faire passer aux aveux, me lâche-t-il, rageux, en pointant sur moi le revolver.

Je lève les deux bras. La tête penchée sur le côté en lui présentant ma tempe, je ferme les yeux.

— J’ai compris ton manège, je sais très bien ce que tu veux.

— Appuie… Appuie sur la gâchette. S’il te plaît, fais ça pour moi.

— T’es dingue, je ne suis pas un meurtrier.

— Si, par ricochet, sers-toi de ton machin juste pour me montrer que tu sais.

Je rouvre les yeux.

— Pff, allez file-moi tes 2000 balles et casse-toi, me dit-il en me mettant le flingue de force dans la main droite.

Par reflexe je le sers entre mes doigts. C’est vrai que ça remue dans le ventre de tenir ce truc à bout portant. Un sentiment de puissance  extatique. Il y a bien longtemps que je n’avais pas ressenti quelque chose de si fort que cela.

— 2000 balles, c’était pour partir au bout du monde.

— Ben tu y es, me rétorque-t-il en tâtant ma poche pour savoir si j’ai l’argent.

— Je devais refaire ma vie avec…

— Avec ? 2000 € bon courage !

— Tu as raison, il me faut plus, beaucoup plus que ça.

Je plante mon regard dans le sien, j’arme.

— Joli geste, me dit-il.

— N’est-ce pas ?

Dans ma ligne de mire :  une lucarne, la balle se loge en plein centre, elle éclate en mille fragments.

— Pour quelqu’un qui débute…

— C’est le métier qui rentre.

Je tire, encore, dans le mur derrière lui, juste au-dessus de son épaule. Il sursaute.

— Hé fais gaffe avec ça !

Il cherche à reprendre l’arme, je ne lui laisse pas. Je le vise.

— Holà qu’est-ce que tu fais là ?

— Je pars au bout du monde, je t’ai dit, 2000 c’est pas suffisant, tu l’as avoué toi-même… Mais pour toi c’est 200.

— 200 ?

— 200 000 précisément.

Une balle en plein front. Je tire. Il tombe. C’est fini. Pour lui. Et maintenant tout commence.

Refaire sa vie. Pour que ça marche il faut ressusciter dans la peau de quelqu’un d’autre. C’était moi ou c’était lui. Et j’ai décidé de m’accorder une nouvelle chance. Ce mot cette fois je le prononce à haute voix. Et pour la première fois de ma nouvelle existence je fais un choix : celle de vivre coûte que coûte et de tracer ma route dans une autre voie. Je viens de buter quelqu’un de sang-froid, une commande. J’entre dans le corps d’un tueur, je m’arrache le cœur une bonne fois. Sa vie pour la mienne, de toute façon je ne le connaissais pas.

 

 

 

 

9 décembre 2020

 

 

Muriel Roland Darcourt

Nouvelle – J’voulais pas voir la fin du monde

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