Lettre ouverte à tous ceux
qui veulent écrire,
qui savent écrire,
qui aiment écrire…
Loin de moi l’idée de vouloir faire ici l’apologie de l’écriture et plus loin encore l’idée de vouloir imposer une logique, un devoir, un savoir-faire concernant l’écriture elle-même, et encore plus loin l’idée de distiller des conseils, bons ou mauvais, à propos de l’acte d’écrire lui-même.
Qu’il faille être résistant, imaginatif, cultivé, rigoureux, passionné, sont des conditions indéniables pour ne serait-ce que commencer un parcours semé d’embûches, de doutes, de douleurs, de craintes et voir finalement aboutir ce qu’on pourrait nommer une œuvre littéraire, un texte qui n’aurait pour seul but que d’être présenté aux autres, aux lecteurs.
C’est bien des autres dont il s’agit ici. Les lecteurs certes sont le salaire de l’écrivain, sa récompense quand ils aiment, sa punition lorsqu’il n’a pas assez travaillé. Les autres eux, sont les écrivains. Les autres écrivains qui entourent l’écrivain. Ceux-là sont à la base de la réussite de l’écrivain, à savoir ses moteurs, ses garde-fou, ses correcteurs. Ceux-là sont ceux qui font progresser l’écrivain de part leurs critiques acerbes ou leurs encouragements valorisant, leurs conseils avisés, leurs recommandations et leurs précieux avertissements.
Tout auteur a besoin d’une aide pour se construire, car les échecs des uns lui insufflent des mises en garde et la réussite des autres une volonté de bien faire, mieux, de s’appliquer toujours davantage, d’aller encore plus loin.
Le silence des autres écrivains quant à la valeur intrinsèque d’un écrivain est d’une violence inouïe, car un écrivain ignoré par ses pairs est un écrivain assassiné. Quand le public ignore c’est qu’il n’a pas apprécié, quand un autre écrivain ignore, souvent, c’est qu’il a apprécié mais qu’il ne veut pas le dire au risque de se confronter à l’écrivain en tant que rival, de devoir comparer son œuvre à la sienne.
Les autres écrivains se taisent lorsque l’écrivain est un bon écrivain, jamais quand il est mauvais. Pour l’éliminer sans doute, lui faire comprendre qu’il ne doit pas continuer à s’entêter dans une voie qui n’est pas la sienne, pour ne pas faire perdre de temps aux éditeurs qui croulent sous les textes proposés, pour ménager les autres écrivains qui en ont assez de prodiguer des conseils qui de toute façon ne seront pas écoutés, pour ne pas voir travailler quelqu’un avec acharnement en sachant pertinemment qu’il ne pourra jamais progresser. Surtout pour épargner le public de cette prose nauséabonde qui envahit, déjà, les étals des supermarchés.
Les autres écrivains se taisent devant l’œuvre d’un bon écrivain, pour certains parce qu’ils n’osent pas donner leur avis au risque que leurs opinions blessent l’écrivain ou qu’ils ne se sentent pas capables d’intervenir à bon escient ou quand ils ne se croient pas eux-mêmes encore à la hauteur d’avouer ce qu’ils pensent à l’écrivain qui attend de savoir ce qu’ils pensent.
Un bon écrivain que l’on encense est un écrivain qui deviendra mauvais. Un bon écrivain que l’on critique sans explications est un écrivain qui se drapera dans sa volonté de persévérer comme il a toujours fait, un bon écrivain à qui l’on dira le fond de sa pensée, le ressenti de sa lecture telle qu’elle est apparue, exécrable ou formidable ou bien juste acceptable, est un écrivain qui réfléchira, qui triera, qui analysera, qui prendra conscience, et donc qui s’améliorera pour devenir un jour un très bon écrivain.
Un écrivain qui ne dit rien à un autre écrivain le décourage avec une cruauté inimaginable pour celui qui n’a jamais été confronté au silence de ses semblables lors d’une quête monstrueusement difficile pour devenir meilleur.
Alors, que dire à un écrivain quand on est écrivain ? Sachant qu’un « C’est nul » vaut mieux qu’un « C’est génial » lorsqu’il est adressé à celui qui cherche une solution et qui sait assurément qu’un « C’est Génial » si c’est vrai, il ne l’entendra jamais de son vivant quand un « C’est nul » l’incite à reprendre la plume ne serait-ce que pour faire fermer sa gueule au malotru qui a osé juger son œuvre de la sorte.
Une phrase qui commence par « Je crois ou je pense que » impliquant l’autre écrivain avec son avis propre et non pas dans un jugement absolu, apaise celui qui écrit et qui se demande si, un jour, ce qu’il produira sera valable aux yeux de tous, de ses amis, de sa famille, du public, des lecteurs, des éditeurs, et des autres écrivains déjà morts, rangés sur les étagères des bibliothèques d’amateurs de littérature en tout genre, et qui restent ainsi vivants à tout jamais.
Muriel Roland Darcourt
Lettre ouverte aux écrivains